Après trois ans de formation en alternance en conduite de travaux sur des chantiers de restauration des monuments historiques, Tom est depuis six mois conducteur de travaux chez Riversen et actuellement en mission chez Eiffage, sur un projet d’écoquartier neuf. Face à l’absurdité et à l’inertie de tout un secteur où règne l’exploitation de travailleurs précaires et un cynisme assumé quant au rôle de la construction dans le ravage écologique, il décide aujourd’hui de prendre la parole.
Bonjour Tom, peux-tu revenir sur ta formation ? Le métier de conducteur de travaux ?
Poussé par ma famille et mes enseignants, j’ai pris le chemin classique de l’ingénieur : prépa (physique et sciences de l’ingénieur), puis une école d’ingénieur en BTP (Bâtiment et travaux publics). J’aime les sciences, mais il me manquait une ouverture sur d’autres domaine. J’ai trouvé une école en alternance qui me permettais de faire 3 ans entre les cours et l’entreprise.
Les enseignements y sont généraux pour donner une culture des métiers du BTP moderne : électricité, voirie, génie civil, administration de chantier, droit de la construction, etc… En tout cas, bien peu de choses pour comprendre les méthodes de construction employées dans les monuments historiques où je faisais mon alternance.
Un conducteur de travaux est typiquement une personne de terrain qui fait le lien entre l’architecte, le propriétaire (ou exploitant) et les compagnons. C’est un métier de relations humaines avec son lot d’administratif, de technique et d’organisation. Au quotidien, on devient aussi les représentants de l’entreprise, de sa politique et sa vision du monde face à toutes les personnes qu’on cotoie, c’est-à-dire qu’on choisit soigneusement ses mots ou qu’on ment par omission aux architectes ou aux compagnons par exemple.
Comment as-tu vécu ton expérience en conduite de travaux dans la restauration des monuments historiques ?
Je pense que j’ai eu de la chance de commencer par là. Il y a quelque chose de passionnant à comprendre les méthodes de construction des monuments historiques. J’aime bien dire que c’est un métier à l’intersection entre l’art, l’histoire et la technique.
J’y ai vu l’intelligence des compagnons mise à profit du chantier, j’ai vu des gestes et des techniques qui ont permis d’édifier des châteaux et des cathédrales.
Là où certains voient la gloire de l’histoire française, moi, je me suis fasciné pour le savoir pratique et par ces petits gestes apparemment simples qui ont montré leur durabilité. (Attention au biais qui voudrait que les monuments historiques soient parfaits ! Ils ont plein de défauts et beaucoup se sont effondrés sur eux-mêmes… mais disons que ceux qui restent fonctionnent encore assez bien). La construction était historiquement pensée pour durer plusieurs générations, ou à défaut, pouvoir les adapter aux nouvelles éxigeances comme l’ont fait les chateaux. Pour durer dans le temps, il est nécessaire de pouvoir réparer ce qui s’abîme, et ça impliquait que chacun ait un socle de compétences pour entretenir son habitation. Ainsi, remplacer des briques, une pierre ou une poutre sera toujours plus accessible que le remplacement d’une dalle de sol ou un mur en béton armé.
A titre de comparaison, dès la conception de nos bâtiments modernes, les dimensionnements des structures envisagent une durée de vie 50 ans pour les constructions courantes et de 100 ans pour les constructions stratégiques et monumentaux. C’est-à-dire qu’on imagine que la structure se sera utile que pendant 50 ou 100 ans avant de devoir détruire… à moins de faire un lourd diagnostic parce que le béton ne sera plus garanti. Ces mesures initialement pensées comme des mesure de sécurité empêchent complètement de se projeter vers un système plus pérenne de bâtiment multi-usage. Un jour immeuble de bureau, demain résidentiel, et dans 3 générations serre verticale.
Tu entres ensuite chez Riversen, une société de conseil en ingénierie spécialisée dans les métiers de la construction. Comment expliques-tu que des ingénieurs formés à l’opérationnelle se retrouvent dans des sociétés de conseils ?
Les entreprises de conseil ont de bons arguments pour les jeunes ingénieurs. À la différence de l’intérim, elles proposent des CDI. Et puis ça permet de voir le fonctionnement de plusieurs entreprises, de se faire un réseau et théoriquement, de faire évoluer les carrières, missions par missions vers l’objectif de l’ingénieur-conseiller lui-même.
Il faut préciser que le terme de consultant est trompeur dans le BTP : ils jouent souvent le rôle d’un conducteur de travaux lambda et évitent à l’entreprise cliente de passer par une embauche… On peut voir ça comme un poste d’ingénieur-mouchoir. On l’utilise à fond pour une courte durée, on le teste éventuellement et si ça ne marche pas, on le jette. Et dans tout ce processus, le recours aux consultants bloque la montée en hiérarchie des chefs de chantier (puis en conséquence, des chefs d’équipe et des compagnons).
J’ajoute que dans d’autres pays comme en Allemagne, il est obligatoire d’avoir au minimum 2 ans d’expérience de terrain avant de prétendre à un poste de conducteur de travaux. ça me semble plus sain que la méthode française qui tend à donner aux ingénieurs le sentiment que leur diplôme prévaut sur l’avis des compagnons les plus expérimentés. Il faut valoriser les compétences acquises sur le terrain, sortir les compagnons du paternalisme qui les renferme et leur donner accès des postes à responsabilité dans leur carrière.
Finalement, tu es placé en tant que conducteur de travaux sur un projet pas très exotique mené par d’une des quatre majors de la construction. Quelles grandes différences avec ton expérience dans la restauration des monuments historiques ?
Par rapport aux chantiers de restauration, j’ai constaté beaucoup plus de violences dans la construction neuve. D’abord parce qu’on m’a rapidement demandé d’imposer les exigences de l’entreprise par les menaces et puis parce qu’il existe toute une série d’outils pour mettre les menaces en application.
Ce sont des chantiers où les majors du BTP sont obligés de passer par des plus petites entreprises pour trouver la main d’œuvre, et celles-ci sont obligées de se soumettre financièrement et juridiquement. Alors que j’étais pourtant habitué à la paperasse et à la documentation au vu des exigences d’archives pour les monuments historiques, j’ai été submergé par l’omniprésence de la bureaucratie comme outil de pouvoir. Chaque mail est un outil pour mettre en faute les sous-traitants ou les autres entreprises du chantier. C’est l’illustration de la violence de la technocratie.
L’autre différence c’est le discours sur l’écologie. Paradoxalement, c’est bien un thème discuté alors qu’il est totalement absent des chantiers de restauration… et en même temps, les décisions les moins polluantes d’un chantier moderne seront nettement plus impactantes que les opérations les plus polluantes des chantiers de restauration. En MH, on ne discuterait pas de créer des jardinières de 3m³ en béton pour 3 pauvres plantes trop sérrées, mais l’élévation d’une nouevelle charpente avec un camion grue sera à la fois plus utile et moins polluant.
Les exigences de planning et de rentabilité des promoteurs crée des situations absurdes qui forcent les entreprises à précipiter certains travaux, qui sont ensuite refusés pour des défauts. Les promoteurs ont ainsi exigé de refaire intégralement un parvis déjà en béton (donc très polluant) avec près de 100m³ de béton… alors que des alternatives moins esthétiques mais moins polluantes existent.
Eiffage Construction, c’est 4 milliards d’euros de CA en 2021, un petit empire en somme. Comment cela se passe au quotidien sur les chantiers ? Quelles conditions de travail pour les ouvriers du bâtiment ?
On retrouve une structure hiérarchique commune dans les entreprises du bâtiment : compagnons (spécialisés selon leurs compétences), chefs d’équipes, chef de chantier, conducteur de travaux, directeur de travaux, directeur régional. L’ensemble est quasiment exclusivement masculin, la majorité des femmes dans le BTP étant souvent cantonnées à des fonctions de support, plus rarement à des postes d’ingénieures ou d’architectes.
Au sein de l’entreprise, une vie sociale est organisée parmi les cadres (à partir des conducteurs de travaux) et ça crée un véritable sentiment de déclassement, notamment lors des évènements de fin d’année qui séparent explicitement les métiers. Il y a heureusement une forte activité syndicale et les représentants du personnel sont écoutés et respectés, même si des tensions apparaissent.
Les choses deviennent nettement plus alarmantes quand on s’intéresse aux intérimaires et aux sous-traitants. Les intérimaires sont les variables d’ajustement des chantiers. Si beaucoup de personnes acceptent de travailler en intérim, c’est souvent une question de salaire, mais qui se compense par une précarité qui fait peur à voir. Du jour au lendemain, il est possible de ne plus lui confier de travail sans lui laisser le temps de chercher une prochaine mission (qu’il doit bien souvent trouver par lui-même). J’ai vu des intérimaires qui demandent d’eux-même à travailler sur l’heure de pause malgré l’interdiction par manque d’argent et parce qu’ils n’ont même pas de quoi se payer le sandwich.
Quant aux sous-traitants, on commence par pointer du doigt le moindre petit défaut sur leur travail, les compter, matraquer de mails pour rappeler les échéances de planning et en faire de la paperasse qui pourra être utilisée pour ne pas les payer !
Ces dernières années, petites et grandes communes ont vu fleurir une myriade de projet de construction neuve baptisés « écoquartiers ». Peux-tu nous dire ce qui caractérise un écoquartier ? Selon toi, cela participe-t-il à maintenir le même cap ?
Je vais directement citer la définition du site gouvernemental du ministère de la Transition Ecologique : « Un ÉcoQuartier est un projet d’aménagement durable multifacettes, qui intègre les enjeux et les principes du développement durable à l’échelle de la ville ou du territoire. » Étonnamment (ou pas), il n’y a aucune définition légale de l’EcoQuartier dans la loi. Il y a cependant des axes pour l’aménagement des villes et des territoires mais qui doivent être appliqué dans tous les nouveaux projets, EcoQuartier ou non !
On apprend sur le site qu’il y a 20 critères dévaluation qualitatifs et quantitatifs pour obtenir le label . Mais à cela, 2 remarques qui font grincer des dents : on peut qualifier un projet d' »EcoQuartier » sans même chercher à obtenir le label et les critères qualitatifs n’imposent aucun seuil de réussite ! Il suffit d’avoir fait le calcul.
Je reproche donc l’abus de ce mot qui permet aux promoteurs de s’acheter une bonne conscience. Même si on peut se réjouir d’une prise de conscience que l’aménagement urbain tient un rôle majeur pour la transition écologique, on ne peut pas se contenter de construire toujours plus sans transformer ce qui existe déjà. Le quartier le plus écologique, c’est celui qu’on ne construit pas. On peut se tourner vers la rénovation et le renouvellement des quartiers existants. En raison des travaux, ça sera évidemment polluant mais nettement moins que de faire sortir de terre un quartier complet surtout lorsque qu’on considère la disparition des ressources et la gestion des déchets. /rehabilitation_vs_construction_neuve.pdfhttps://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/part-des-logements-vacants
Pour être tout à fait honnête, je ne vois qu’un seul avantage à cette publicité pour les écoquartiers : c’est de les rendre plus attractifs que les quartiers pavillonnaires. Ces derniers prennent énormément de place sur le territoire pour loger quelques familles loin des centres urbains en maisons individuelles avec petit jardin, créant une dépendance à la voiture, amplifiant l’artificialisation des sols, impactant les surfaces agricoles et naturelles, et en supprimant toute mixité économique et sociale dans la ville.
Selon toi, les cadres des entreprises de construction ont-ils conscience des conséquences mortifères de leur secteur d’activité ? Comment expliquer le décalage entre des changements de vocabulaires avec des mots comme « écoquartiers » et l’inertie dans la pratique et notamment la construction de neuf ?
Je pense qu’il y a une conscience écologique émergente mais peu plébiscitée dans le BTP. Les solutions évoquées sont encore trop souvent portée sur la technologie comme seul levier d’action avec des matériaux recyclés mais sans remise en question de la construction elle-même. Dans le milieu professionnel et en formation, aucun salarié ou futur salarié n’est invité à penser les alternatives à la construction neuve. Personne n’entend parler d’auteurs critiques comme Anselm Jappe.
Les cadres ont souvent conscience que la réhabilitation de l’existant est utile, mais la croyance populaire qu’il faut construire plus pour résoudre les problèmes de logement continue de financer la construction de quartiers complets. Donc la réhabilitation est déjà un secteur bien couvert par les majors du BTP mais tant qu’il y aura une politique de construction neuve, le secteur se cachera derrière le terme d’écoquartier pour se justifier.
Il y a pourtant des ressources en logements très mal exploitées. La France est le numéro 1 mondial en pourcentage de résidence secondaire (10% des logements), dont les 2/3 appartiennent à des personnes de plus de 60 ans. Même si ces résidences secondaires sont mal situées, loin des centres économiques ou en zones rurales, ça veut dire qu’il y a autant de logements principaux qui pourraient profiter à des personnes en recherche d’un « logement-tout-court ».
On peut rappeler que tout les espoirs financiers des promoteurs immobiliers dépendent de cet attrait pour le neuf. Les nouveaux logements sont revendus aux ménages déjà les plus aisés qui accumulent toujours plus de biens et laissant s’aggraver la situation inflationniste en faisant croire que les personnalités publiques auraient pourtant fait tout ce qui était en leur pouvoir. Malgré la politique constructionniste de nos gouvernement successifs depuis les années 60, la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamne en 2015 la France pour non respect du droit au logement.
Quelle marge de manœuvre sur un projet pour un conducteur de travaux ? Faut-il déserter l’industrie du bâtiment ? Si on imaginait un petit manuel Comment saboter un projet de construction neuf, aurais-tu des pistes ?
A l’échelle du conducteur de travaux, je suis adepte de la bonne entente sur le chantier, peu importe la culture d’entreprise et l’esprit de concurrence. C’est déjà un niveau important puisque c’est un lieu de travail pénible où il y a de fortes frictions entre les métiers, mêlé à du racisme ordinaire et du sexisme. ça me semble essentiel d’humaniser les compagnons, de les informer de leurs droits et les protéger quitte à ce que ça coûte cher au chantier. L’inspection du travail est joignable par un simple appel téléphonique et peut lourdement pénaliser le chantier en cas d’irrégularité.
Je souhaite aussi que les jeunes étudiants puissent prendre la parole et normaliser leur refus de travailler pour les majors du BTP comme l’ont fait les étudiants d’Agro ParisTech dans leur secteur ou à Polytechnique .Ce discours n’est pas encore audible dans toutes les écoles d’ingénieurs.
Pour le sabotage, ça me semble être un exercice périlleux risquant de polluer davantage, de générer des tensions entre les compagnons ou de faire perdre confiance à sa hiérarchie en contrepartie. C’est pour cela que les enjeux de sécurité sont particulièrement importants car on peut facilement y mêler une dimension écologique tout en impactant fortement les plannings qui sont le nerfs de la guerre… On peut donc user du pouvoir rapide et très imposant de l’inspection du travail de son côté en restant irréprochable. Bon à savoir, on peut demander à l’inspection du travail de nous garder anonyme et les tenir informés de la situation sur le chantier.
Une autre stratégie d’action directe pourrait considérer le blocage des fournisseurs de matériaux de construction. L’exemple spectaculaire de l’usine Lafarge illustre à la fois la dépendance du secteur du BTP à cette usine et l’importance du capitalisme de maintenir le système tel qu’il est. Il n’existe pas d’alternative. S’il n’a fallu qu’une poignée de jour pour remettre l’usine à flot, les conséquences sont sans doute nombreuses pour plusieurs dizaines de chantiers dans la région.
En fait, les débits de bois de constructions, les ports d’approvisionnement en sables, les centres logistiques de barres d’acier sont autant de points sensibles qui ont l’avantage de ne pas impacter les travailleurs en première ligne. En effet, les répercutions financières ne pourront être imputées aux petites entreprises sous-traitantes et resteront des enjeux d’assurances et de contrats entre les majors de la construction et de leurs fournisseurs.
Que t’inspire la répression anti-terroriste des militants qui tentent de mettre hors d’état de nuire une usine de Lafarge ?
Ca me glace le sang. Je ne comprend pas que cette action militante puisse être mise sur un pied d’égalité avec le terrorisme qui s’attaque aux personnes. Une dégradation matérielle ciblée ne devrait pas être comparée au terrorisme d’extrême droite quand celui-ci tabasse les personnes LGBT ou au terrorisme islamiste avec ses attaques armées.
Je pourrai comprendre une accusation de vandalisme de la part d’un gouvernement capitaliste. Mais quand on sait que Lafarge a plaidé coupable pour sa complicité avec l’Etat Islamiste et Al-Quaida depuis sa filiale syrienne, c’est franchement cynique comme réaction.
A l’inverse, je trouve que s’en prendre à l’usine est une stratégie écologiquement très pertinente en empêchant la pollution directe émise pour la fabrication du ciment, mais en plus socialement responsable puisque les salariés de l’usine n’ont pas perdu leur salaire, ni les compagnons sur la chantiers qui n’ont pas reçu la marchandise.
Dans un futur probable, imaginons que l’usine ferme quelques jours en raison d’un rationnement d’énergie. Sur qui lancerons-nous les brigades anti-terroristes ?
Par quels moyens, quelles actions, et à quel niveau faut-il agir pour sortir de l’impasse entre l’attente de décisions fortes émanant de l’État – qui ne peut se permettre de contrarier les intérêts industriels et financiers – et celle de l’écologie des petits gestes ?
En tant que citoyen.nes, on a accès à des niveaux intermédiaires pour limiter la nuisance des nouveaux projets. Dans son voisinage et dans un délais de 2 mois, on peut s’adresser à un tribunal administratif si le projet vous porte préjudice ou contrevient aux règles d’urbanisme. Si le projet met en péril l’environnement ou le paysage, c’est le tribunal judiciaire. Il faut donc rester vigilent aux nouveaux panneaux de chantiers qui annoncent le type de travaux prévu dans son voisinage.
Plus rarement, les mairies peuvent lancer des consultations publiques souvent annoncés sur leur site web ou sur quelques panneaux d’information. La consultation peut prendre la forme de questionnaires, de réunions publiques ou de conférences. A cette occasion, il est possible de mobiliser une forte contestation mais cela implique d’avoir un œil sur la communication de la mairie, en comptant sur sa bonne volonté et sa sensibilité politique.
Enfin, nécessitant plus d’organisation, il est possible d’agir dès la phase de consultation des entreprises. Pour tout chantier organisé par une autorité publique (état, région, département, mairie ou établissement), on ouvre un appel d’offre sur une des plateformes dédiées pour mettre les entreprises en concurrences.
- France Marchés, (le plus complet, mais nécessite un compte pour consulter)
- le Bulletin Officiel des Annonces des Marchés Publics (BOAMP, sans compte) ;
- les Journeaux d’Annonces Légales (JAL).
- la plateforme des achats de l’État (PLACE)
- Marchés Online
- E-marché Publics.
L’architecte et le propriétaire (ou gestionnaire) doivent fournir publiquement un Dossier de Consultation des Entreprises (DCE) qui explicite les travaux prévus et leur méthode. Dans ce DCE, on trouve toutes les règles pour postuler au marché sans condition d’expérience, il sera par contre toujours demandé :
- un mémoire technique (qui témoigne de vos compétence)
- une Décomposition de Prix Global et Forfaitaire (DPGF) : une trame issue du DCE à remplir pour chaque tâche à réaliser
- une lettre de motivation,
- une déclaration sur l’honneur,
- votre Kbis
- autres attestations légales et fiscales
Après soumission de votre candidature, tous les dossier devront être lus par l’architecte et le propriétaire. Les dossiers non recevables n’auront évidemment pas le chantier… mais si une pluie de dossiers d’apparence pertinents révèlaient une contestation organisée contre le projet ? Et si les candidats sérieux étaient noyés sous les fausses candidatures ?
Et coup de chance, il y a plétore de tutoriels pour soumettre une bonne candidature, soit tout autant pour soumettre des parodies https://www.obat.fr/blog/appels-d-offres-batiment/
La quasi totalité des programmes politiques, à gauche comme à droite, suggèrent de construire toujours plus de logements neufs. Entre 2012 et 2022 le nombre de personnes sans abri a doublé en France. Comment se fait-il qu’on ait ce besoin de construire toujours plus et en quoi est-ce problématique ?
Construire plus semble être une réponse efficace en théorie. La réalité, c’est que les nouveaux logements ne bénéficient pas à ceux qui en ont besoin : résidences secondaires, logements trop chers, ou situés sur des terrains pas chers et loin des emplois.
En fait, construire plus, c’est un jeu capitaliste qui continue à financer ceux qui ont déjà de l’argent et ne rend vraiment pas service aux personnes sans abri, ou vivant dans des conditions insalubres ou en surpopulation. La part des logements sociaux dans les constructions neuves diminue malgré cette augmentation de personnes sans abri que tu rappelles. Et parmi les logements privés, il est de plus en plus attendu d’avoir le soutien financier de ses parents pour les caution, surtout à Paris.
Et pendant qu’on construit plus, on accepte que les centre-villes deviennent un terrain de jeux pour l’investissement entre les propriétaires. Il me semble qu’on ne devrait pas laisser personne jouer leur enrichissement sur la question du droit au logement des plus pauvres. On a besoin d’autres rêves et de meilleurs récits pour imaginer notre « chez soi ».
Du fait de la forte dépendance au marché de l’immobilier et a fortiori de l’industrie mortifère de la construction pour avoir un toit sur la tête, se loger est la première raison qui force les humains vers le travail comme marchandise, responsable de l’aliénation des individus et de la destruction des conditions de vie sur terre. Comment sortir de cette double impasse écologique et sociale ?
Ce qui est construit a déjà pollué, c’est fait. Les solutions de recyclages du béton n’est pas viable parce qu’il nécessite une portion de nouvelles matières premières (maximum 62% actuellement en France) : on ne peut donc pas recycler entièrement les bâtiments, et même si on y arrivait, on pollue encore dans le processus par la destruction, le nouveau mélange, le chantier et le transport.
La solution, c’est donc d’entretenir et d’adapter intelligemment ce qu’on a. On peut assouplir les conditions de passage des bureaux en logements, mettre fin à l’héritage des biens immobiliers si on en possède déjà un, faire la chasse aux logements vacants, offrir une stabilité ou une formation dans des métiers durables aux professions du BTP. On peut aussi valoriser la résilience, s’éduquer sur les méthodes de construction locales qui ont permis de loger tant de générations avant l’arrivée du béton, mettre en valeur le patrimoine local et faire réver nos enfants et les jeunes qui cherchent leur orientation.
Pour apprendre sereinement à utiliser ces mains et à se faire confiance :
- https://www.reprisesdesavoirs.org/ (avec des options en mixité choisie)
- https://fr.twiza.org/
- https://www.rempart.com/ (pour un axe patrimoine)
Il existe aussi des MOOC pour se former chez soi aux techniques de construction durable, et pour tous les niveaux, de la simple curiosité à l’expertise professionnelle : https://www.mooc-batiment-durable.fr/
Malgré les avis très contradictoires de notre époque sur nos constructions, il ne fait aucun doute que nous les lèguerons aux prochaines générations… et quitte à transmettre l’état existant de nos villes, autant apprendre à s’en saisir, se les réapproprier et à les modifier.
Artificialisation de sols vivants, utilisation de matériaux extrêmement polluants, surconcentration en zones urbaines sont autant de conséquences de la façon qu’a la société industrielle de construire et d’habiter la terre. Quelles formes d’habitats et de construction pour des existences plus libres et durables ?
Tout n’est pas à jeter dans la ville. Le concept d’immeuble (qu’il soit en béton ou non) permet de réduire l’occupation et l’artificialisation du sol. Il permet aussi une économie de matériaux et d’énergie par rapport à un mode de vie en maison individuelle (cf les insulae, immeubles de l’antiquité romaine). En revanche, je crois qu’il faut réinventer ces lieux pour qu’ils soient encore meilleurs dans ce qu’ils sont : inventer des lieux de vie commune sur le pallier, le partage des machines, des outils et moyens de déplacement. Il s’agit enfait de se réapproprier tous les avantages des immeubles qui ont été dévoyés pour servir de séparateur social et largement accompagné par le plan Haussmann de Paris (de haut en bas commerce/stockage/bourgeois avec balcon/puis les classes de plus en plus pauvres jusqu’aux chambres de bonnes dans les combles).
Pour encourager une dynamique optimiste et collective, on peut imaginer l’interdiction des plus-value à la revente d’un bien. On peut normaliser le déménagement dans des logements plus petits quand les enfants quittent le domicile familial. Là où certaines familles vivent entassés, d’autres occupent des espaces gigantesques qu’ils ne quittent pas par fierté. Je porte cet idéal d’immeubles intergénérationnels et avec plusieurs niveaux sociaux où on peut faire famille avec des amis. On a besoin de répartir dans tout le pays et toutes les rues les logements qui serviront aux étudiants, aux personnes âgées, aux familles et aux couples en séparation.
Combien de personnes ont la même caisse à outil dans votre immeuble ? Est-ce que chacun a besoin d’une machine à laver qui ne tourne qu’une à deux fois par semaine chez soi ? Et si vous connaissiez assez bien votre voisine à la retraite pour lui laisser votre enfant le temps d’aller au cinéma ? C’est une vision de la coloc XXL, mature et socialement responsable.
On ne peut pas se contenter de progresser par petit pas, on a besoin de sauts de géants et de créer collectivement des espaces de vie qui donnent envie.
Quels sont tes projets ? Comment envisages-tu la suite, à court et moyen terme ?
Depuis cette expérience dans le consulting, j’ai déménagé en Allemagne et changé de métier. Je suis devenu restaurateur en maçonnerie pour les monuments historiques. J’avais à cœur de découvrir un autre patrimoine et d’autres manières de construire. Et puis c’était important pour moi d’exercer un métier manuel, de prendre de comprendre les contraintes et le savoir-faire.
Dans un monde où tout on a besoin de renoncer largement à notre confort moderne, ne serait-ce que pour des question de subsistance et d’égalité sur un territoire, il sera important de savoir comment on entretient ce qu’on a déjà sous la main. On ne sait jamais !
A moyen terme, je projette de monter un projet sous forme de coopérative et de financer mon rêve d’immeuble collectif.
Quel conseil ou quel message aimerais-tu faire passer à des étudiants ou des salariés du BTP qui se posent des questions ?
Si vous avez choisi le BTP, c’est certainement pour l’impact que vous avez sur ce qui se passe autour de vous. Choisissez donc attentivement où vous placez votre énergie et vos compétences.
Les grosses entreprises auront du mal à vous offrir une qualité de vie que vous cherchez. Les horaires resteront très exigeants (je faisais 55 h/semaine) et si en plus votre travail va à l’encontre de vos valeurs, alors cherchez mieux. C’est d’autant plus épuisant de travailler dans un milieu avec lequel vous êtes en désaccord.