Malgré des efforts récurrents pour y parvenir, nos constats, notre stratégie ou nos objectifs demeurent mal compris — et ce même par des personnes qui prétendent nous soutenir.

Dans l’optique de clarifier les choses, nous vous proposons une petite mise au point. En espérant que celle-ci suffise à nous permettre d’éviter une perte de temps mutuelle en cette nouvelle année.

Si nous avons quitté nos positions confortables de cadres supérieurs, c’est pour alerter nos semblables sur ce qui nous semble être le plus grand défi de notre génération. Selon nous, il ne s’agit pas du changement climatique, ni de la sixième extinction de masse, de la prolifération nucléaire, de l’extractivisme minier, du rythme effréné de déforestation, de l’épandage ininterrompu de substances chimiques dans l’atmosphère, de l’empoisonnement des océans, des records monstrueux d’inégalités, ou de l’exploitation d’enfants, de femmes et d’hommes qui n’ont d’autre choix pour survivre que de participer au massacre généralisé.

Non. Contrairement à la plupart des organisations écologistes, nous n’identifions pas ces phénomènes comme des problèmes à prendre séparément, mais plutôt comme le lot de conséquences d’une organisation sociale particulière : la société industrielle capitaliste.

Selon nous, c’est précisément cette structure qui est à la racine des fléaux de notre époque, et il devient urgent de s’en débarrasser. Notre conviction profonde, notre objectif politique premier, consiste donc à identifier le capitalisme industriel comme la catastrophe, et son effondrement, lui, comme la fin d’un désastre qui accable la planète depuis bien trop longtemps. D’un même geste, nous enquêtons sur — et nous expérimentons — d’autres manières d’habiter la Terre, de faire société, et de nous rapporter aux milieux vivants.

Tout ceci n’a rien d’évident, mais il s’agit, toujours selon nous, du constat le plus honnête qu’il soit de la situation — bien que nous ayons parfaitement conscience d’ouvrir un débat avant même d’aborder la question stratégique.

Tel est ce grand défi vers lequel nous dirigeons nos forces depuis un peu plus d’un an. En tentant de convaincre les sphères dont nous héritons de résister aux fausses solutions — celles promues par (et pour) les dirigeants du capitalisme industriel — mais aussi, voire surtout, en accompagnant des personnes pour qui l’attentisme devient trop lourd, qui sont prêtes à prendre des risques, à cesser de subir, à faire sauter un des rouages (symbolique ou matériel) de la machine.

Aussi, en assumant ces convictions, loin d’être répandues dans l’écologisme, nous sommes surpris de constater que parmi nos « soutiens » figurent des défenseurs acharnés du nucléaire. L’effet Janco semble être passé par là. Nous ne saurons trop recommander à ces « soutiens » de parcourir cet article [1] pour cerner notre position sur le sujet :

« Sur le plan écologique […] le ravage en cours de la planète, de tous ses écosystèmes, ne découle pas uniquement, ni même principalement, des implications directes de la production ou de l’obtention d’énergie par la civilisation industrielle. Il résulte surtout de ses implications indirectes : de ses usages de l’énergie. Peu importe qu’une machine à ratiboiser des bassins versants soit alimentée par une pile à hydrogène, des panneaux solaires hautement performants ou un mini-réacteur nucléaire ; peu importe que les excavatrices fonctionnent à l’éolien, à la biomasse ou au nucléaire ; peu importe que l’armée et l’industrie de l’armement utilisent plutôt des énergies dites « vertes » que du nucléaire ; peu importe les sources d’énergie qu’utilisent les différents secteurs industriels responsables d’un éventail très divers de pollutions et destructions écologiques. Les usages de l’énergie que produit ou qu’obtient la civilisation industrielle (peu importe sa provenance) ne sont quasiment jamais bénéfiques pour la nature, tout au contraire. […]

Sur le plan social […] toutes les technologies modernes, toutes les machines (y compris celles qui servent à produire ou obtenir de l’énergie), sont autant de produits du système économique, politique et technologique issu de la conjonction de la puissance de l’État et de celle du capitalisme. Système qui, comme beaucoup l’ont remarqué, écrase et dépossède les êtres humains, partout sur Terre. Or, selon toute probabilité, toute logique, toutes les technologies modernes, toutes les machines (y compris celles qui servent à produire ou obtenir de l’énergie), sont indissociables de l’existence de ce système — du moins d’un certain nombre de ses caractéristiques fondamentales (démesure, division hiérarchique et technique du travail, complexité sociotechnique, etc.) — et par-là même incompatibles avec la démocratie réelle, la justice, l’équité, la liberté. La question est donc : souhaitons-nous la perpétuation d’un tel système ? […]

Et ainsi que le notait Roger Belbéoch, ingénieur antinucléaire, le développement massif du nucléaire en France est issu de « la structure particulièrement centralisée de l’État français, la formation de ses cadres techniques et de ceux de la grande industrie par le système des grandes écoles (Polytechnique), l’existence des corps d’ingénieurs (corps des Mines) ».

Autrement dit, la spécificité du nucléaire, en regard des autres formes de production industrielle d’énergie, c’est qu’il incarne, du fait de ses implications sociales et matérielles (complexité technique, déchets hautement dangereux, sensibles, catastrophes potentielles à prévoir et gérer, etc.), la technologie autoritaire par excellence. »

Si, après lecture, vous demeurez convaincus du caractère écologique et démocratique du nucléaire (comme de n’importe quelle autre source industrielle de production d’énergie), ou pire, si vous considérez que leur critique confine à de la désinformation : bon vent ! Nous ne vous retenons pas. La réduction du problème écologique à « nucléaire ou renouvelables ? » est une preuve parmi tant d’autres de l’affligeante déradicalisation du mouvement écologiste [2] et de son absorption par le capitalisme [3]. Vous n’aurez aucun mal à trouver d’autres collectifs où les gargarismes techno-industriels font offices de rituels.

A cette étape de construction de notre mouvement, nous n’avons pas besoin de ce genre de soutiens, ni de leurs hordes d’experts, pensant nous convaincre du haut de leur scientisme condescendant et aveugle aux structures du pouvoir.

[1] https://www.partage-le.com/2021/11/15/gros-con-causer-le-retour-du-nucleaire-par-nicolas-casaux/

[2] https://www.partage-le.com/2019/02/09/un-apercu-du-discours-ecologiste-de-1972-par-nicolas-casaux/

[3] https://www.partage-le.com/2020/04/24/planete-des-humains-ou-comment-le-capitalisme-a-absorbe-lecologie-par-michael-moore-jeff-gibbs-ozzie-zehner/